L’hybridation
À la fois facile et difficile, c’est avant tout un beau geste qui dans la nature est réservé au vent ou aux insectes. Dans ce geste simple, tout doit être dicté par le résultat que l’on escompte. Certains préfèrent la manière facile, soit de laisser faire la nature pour récolter les graines et ensuite attendre les surprises qui se font rares puisque le plus souvent, il s’agit d’auto-pollinisation par les insectes; donc peu de surprises à prévoir si ce n’est une fleur semblable à la mère porteuse.
Par contre, si l’on souhaite un résultat bien précis, bien particulier, on se doit d’aider la nature; d’abord en choisissant méticuleusement les parents susceptibles de nous donner un résultat se rapprochant du but que nous nous sommes fixé au départ. Il faut à ce moment, cela va de soi, connaître les parents et leur génétique, leurs caractéristiques, ainsi que leur fertilité, afin de choisir les meilleurs parents qui soient.
Pivoine ‘Osiris Annabelle’
Pivoine ‘Osiris Mariette Pelland’
Puis survient la fleur souhaitée. Mais est-ce vraiment la fleur que nous désirions au-delà de l’apparence qui semble nous satisfaire. Beaucoup d’autres critères entrent en ligne de compte : la beauté du feuillage, la forme, la stabilité de la couleur, la résistance aux maladies; la tige est-elle suffisamment forte pour supporter cette fleur qui peut être lourde et produit-elle des boutons latéraux qui vont prolonger la période de floraison? Quelle est la période de floraison? Autant de questions qui viennent s’ajouter au fait que nous sommes en présence d’une fleur à la forme parfaite, à la couleur franche et solide qui ne change pas après quelques jours; une fleur qui se tient très bien sur sa tige et un plant compact qui demeure bien érigé tout au long de la période de floraison. Il y a tellement de couleurs disponibles maintenant qu’il est difficile d’arriver avec une nouvelle couleur; tout au plus, est-il possible de jouer sur les teintes ou sur des nuances parfois subtiles.
Quant à la forme, on vise toujours la forme parfaite : un classique et non un tape-à-l’oeil du genre des fleurs-cactus échevelées à souhait, qui sont très jolies, mais dont la durée de vie est très courte.
L’un des principaux problèmes pour l’hybrideur demeure sans doute l’espace. Il faut de grands champs pour pouvoir cultiver des milliers de plants, car le pourcentage de réussite pour un sujet exceptionnel est d’environ 1 %, si on est chanceux. Imaginez l’espace qu’il faut, sachant que les semis doivent être plantés à 2 pieds (60 cm) l’un de l’autre et que les rangs doivent être espacés de 3 pieds (1 mètre). On comprend alors facilement que l’entretien et le sarclage de tels champs de semis représentent un travail colossal et qu’il faille vraiment être passionné pour s’astreindre à une telle somme de travail. Une belle folie, mais qui nécessite qu’on soit prêt à en payer le prix, car avec l’évolution de l’hybridation, les critères sont de plus en plus élevés.
Pivoines hybrides non enregistrés d’Osiris au Grand Bal des pivoines
Pivoine ‘Osiris John Gomery’
Petite parenthèse intéressante: vous devez savoir que tout hybrideur a ses petits secrets qu’il ne vous dira pas, et c’est bien normal : quand on passe une partie de sa vie en recherche sur l’hybridation, on garde jalousement ses petits secrets. Parmi ces « secrets », mentionnons les méthodes d’hybridation, les produits favorisant une meilleure prise du pollen, les produits et méthodes facilitant la germination, les engrais utilisés, les hormones et les accélérateurs de croissance qui permettent une floraison après quatre ans au lieu de sept, la multiplication in vitro, etc.
avec les hémérocalles, puis ce fut le tour des hostas puis des ligulaires; vinrent ensuite les pivoines et maintenant, j’en suis surtout aux plantes indigènes d’un peu partout dans le monde. Une passion est une passion: on sait quand elle commence, mais on ne sait jamais là où elle va s’arrêter, si jamais elle s’arrête.
J’ai à mon actif quelques brevets dont je suis particulièrement fier, mais n’allez surtout pas croire que vous ferez fortune avec vos hybrides. Personnellement, je n’ai pas encore touché un cent de mes productions. Les compagnies qui reproduisent mes hybrides à grande échelle me promettent un pourcentage. Mais ce montant ne m’a jamais été versé : lesdites compagnies ne nous respectent pas et il est très difficile de les poursuivre; elles modifient le nom d’enregistrement et s’en tirent à bon compte. À titre d’exemple, je vous expliquerai que toutes les plantes que je crée portent le nom de OSIRIS.
Exemples : le hosta ‘OSIRIS Pacha’, la ligularia ‘OSIRIS Café Noir’, le chrysanthème ‘OSIRIS Neige’, ainsi de suite. Alors, ces commerçants trichent et omettent l’appellation OSIRIS et vendent le hosta ‘PACHA’ et le tour est joué. C’est très malhonnête, mais c’est ainsi qu’ils fonctionnent et légalement, il n’y a rien que je puisse faire, sinon ne plus jamais leur fournir pour multiplication mes nouvelles créations, ce que je compte bien faire dans l’avenir.
Les pivoines Itoh
Nées en 1948 peu après la Deuxième Guerre mondiale, les fameuses pivoines du Dr Toïchi Itoh sont le produit d’une longue recherche et de très nombreux essais de croisement entre une pivoine arbustive (Paeonia suffruticosa) et d’une pivoine herbacée. La tige est ligneuse et généralement, la fleur reste bien érigée malgré le vent et la pluie. Ce type de pivoine, à mi-chemin entre la pivoine herbacée et la pivoine arbustive, possède des caractéristiques très intéressantes, particulièrement pour la tenue de la fleur sur sa tige. Pour parler de ces hybrides, je préfère le nom d’Itoh en hommage à leur créateur original plutôt que celui d’intersectionnelles, utilisé par certains.
Les pivoines Itoh sont présentes sur le marché depuis une vingtaine d’années. Avec la multiplication in vitro, leur prix est devenu plus abordable et plus de gens s’en portent acquéreurs. Mais aussi, avec les années, des défauts apparaissent, et non les moindres : fleurs différentes d’une année à l’autre, ce qui est un peu décevant. De plus, certains amateurs ont remarqué qu’après quelques années, les Itoh sont moins florifères. Tous ces comportements pourraient être explicables par le fait que certaines Itoh que nous achetons aujourd’hui sont issues des croisements similaires avec les mêmes parents.
De mon côté, j’ai propagé une ‘Osiris Tourbillon’ qui est une Itoh provenant d’une mutation de ‘Morning Lilac’, qui est stable depuis plus de 10 ans, ce qui me semble encourageant.
L’hybridation des Itoh est loin d’être simple. Depuis plusieurs années, j’ai tout essayé et n’ai pas réussi à obtenir la moindre graine. J’aimerais obtenir des Itoh à centre foncé comme les pivoines de Chine qui sont des arbustives (suffruticosa) avec des pivoines herbacées de forme japonaise.
Pivoine ‘Osiris Tourbillon’
Je cultive les Itoh depuis plus de nombreuses années maintenant avec les mêmes mutations ici et là et sans aucun résultat pour l’hybridation. Un hybrideur français et des hybrideurs américains auraient enfin trouvé de nouveaux parents, plus fertiles, et les résultats semblent des plus prometteurs; cela est encourageant. Un hybrideur allemand aurait même réussi à inverser les parents mère et père.
Les pivoines arbustives
La pivoine arbustive (Paeonia suffruticosa) gagne de plus en plus en popularité au Canada, et pour cause. Autrefois plus gélive et fragile, de nouveaux croisements, le réchauffement climatique, une meilleure pratique de protection hivernale, bref, autant de facteurs qui en font maintenant une pivoine recherchée par les amateurs pour une foule de raisons. Les cultivars de rockii, par exemple, sont réputés pour résister à -40 (°C ou °F), ce qui en ferait des sujets idéaux pour la rigueur de nos hivers un peu irréguliers ces dernières années avec des alternances de redoux et de grands froids. Ces pivoines atteignent plus de 150 cm en quelques années seulement, et portent des fleurs énormes bien soutenues pas des tiges ligneuses. Sans maladies ou presque, faciles d’entretien, avec un beau feuillage pendant les trois saisons de végétation, un grand choix de couleurs et de forme, allant du buisson à l’arbre, bref, toutes les qualités pour plaire à l’amateur le plus exigeant. Elle peuvent aussi se reproduire facilement par semis, car elles produisent des graines très facilement, mais elles peuvent aussi être greffées ou se marcotter pour obtenir un sujet identique à la plante mère.
Je me suis procuré une soixantaine de cultivars très spéciaux dont ceux de l’hybrideur suisse Sir Peter Smithers : de véritables merveilles très prometteuses en hybridation pour un mordu tel que moi. Je me suis mis à l’hybridation des arbustives il y a déjà bon nombre d’années et je dois dire que les résultats sont déjà très encourageants. Le plus beau reste à venir et mes nouvelles acquisitions me permettent d’anticiper des résultats des plus intéressants.
Autre intéressante découverte, les pivoines de climat chaud méditerranéen comme en Corse où l’on trouve la fameuse pivoine cambessedesii pour les herbacées. Au Japon et en Chine, on trouve aussi plus de sept variétés d’arbustives qui fleurissent deux fois par année, soit en mai et en octobre ou novembre.
Pour les arbustives, je n’ai qu’une recommandation : à l’automne, attachez les branches ensemble afin d’éviter que les branches ne cassent sous le poids de la neige mouilleuse ou du verglas. N’oubliez jamais non plus que, quelle que soit la sorte de pivoines que vous plantez, elles détestent le vent qui brûle les boutons floraux et n’aiment pas être déménagées une fois établies.
Note : La magnifique pivoine en-tête de l’article est ‘Osiris Lucie Pepin’ (non enregistrée).
Texte adapté et édité à partir d’un article original de la version précédente du site pivoinequebec.org